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- La composition instantanée -

Extraits d’interview de Julie Serpinet par Marion Jacquier - mémoire réalisé à l’I.U.P. Denis Diderot – Université de Bourgogne - « Le décloisonnement artistique : la quête d’une légitimité pour l’improvisation en danse et en théâtre »

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- Le cheminement artistique personnel

Qu’est-ce qui vous a amenée à vos activités actuelles ?
JS :
La rencontre d’auteurs japonais comme Kurosawa, Tanigushi, Miyazaki, Ozu… La rencontre du travail de Julyen Hamilton en 1997 qui a orienté tout ce que je fais maintenant vers la composition instantanée… une sorte de déclencheur… La rencontre avec Jean Michel Chomet en Qi gong et alchimie interne, arts asiatiques tellement proches de la composition instantanée…

Existe-t-il des personnes qui font figure de référence dans les domaines de l’improvisation, des personnes reconnues dans un milieu spécialisé comme la composition instantanée ?
JS : Reconnus non car cet art est trop jeune mais les noms de la génération qui m’a conduite sur la voie où je suis maintenant sont Julyen Hamilton, Simone Forti, Lisa Nelson, Mark Tompkins, Steve Paxton et Barre Phillips.

- Le lien au public

Quels adjectifs conviendraient le mieux pour qualifier la compagnie ? Comment aimez-vous la présenter à vos interlocuteurs ?
JS :
Ce n’est pas sérieux et ça l’est en même temps… La relation entre nous et les spectateurs, c’est comme dans la cour d’école quand on jouait au cow-boys et aux indiens… c’est un échange puisque rien n’est prévu et tout se fait en fonction de l’instant présent dont vous faites partie… Je vous invite à venir voir le travail… et si possible voyez au moins 2 fois la même pièce… c’est là qu’on commence à se rendre compte qu’il y a de l’intérêt… et c’est comme ça que je suis tombée amoureuse de la composition instantanée en tant que public et plus tard en tant que praticienne…

Les pratiques de composition instantanée impliquent-elles un rapport particulier avec le public ? Avez-vous des anecdotes pour illustrer votre idée ?
JS :
Le rapport avec le public est différent en écriture en composition instantanée… J’ai le souvenir d’une soirée où la jauge était remplie à 70 % de personnes sourdes avec une pièce créée pour tous mais pas spécifique pour les sourds. La composition instantanée permet l’interactif, et les adaptations immédiates nécessaires à ce genre d’occasion !!!

Trouvez-vous qu’il soit difficile d’intéresser les gens avec une discipline aussi peu connue que la composition instantanée ? Comment la présenter à ces gens-là ?
JS :
Non, cela touche tellement l’être humain et son quotidien que n’importe quel personne, amateur ou professionnel, sur chacun des continents où j’ai transmis cet art, s’est reconnu dans cette approche… Je ne pourrais confirmer ma théorie que lorsque je serai allée en Asie… ! Mais pour les autres continents, je confirme ! Pensez-vous que la composition instantanée ait besoin d’un public ? JS : Bien sûr… Le public est primordial…L’art est fait pour être donné en pâture…

- Le spectacle vivant

Existe-t-il pour vous un cloisonnement des champs artistiques ? Pouvez-vous développer ou donner des exemples ?
JS :
Oui, en Europe en tout cas… la façon dont sont fait les programmes des théâtres… une discipline par compagnie la plupart du temps… c’est l’exemple le plus flagrant à mon sens… mais cela change avec le temps car le transdisciplinaire qui était un OVNI il y a dix ans est devenu une discipline pour ces gens…

Votre travail évolue entre plusieurs disciplines artistiques, théâtre, danse, composition instantanée, vidéo… La compagnie doit être difficile à définir…
JS :
Oui… ça nous fait des sous-titres à rallonge pour citer chaque chose plutôt que de dire multidisciplinaire qui définit des choses trop différentes d’un spectacle à l’autre car n’importe quel spectacle est transdisciplinaire puisqu’il implique une création lumière !

Pensez-vous qu’il existe une forme d’assujettissement des pratiques artistiques marginales aux formes plus classiques du théâtre ou de la danse ? Avez-vous des exemples ?
JS :
Non chacun fait ce qu’il veut et comme il le veut… c’est parce que les gens veulent dire qu’ils sont assujettis à ces disciplines qu’ils le sont… Il y a de nombreux publics qui aiment des choses neuves et heureusement !

Avez-vous le sentiment que les pratiques de composition instantanée sont moins légitimes au regard des politiques culturelles ? Pour quelles raisons selon vous ?
JS : Elles sont impalpables car changeantes… c’est difficile de parler de quelque chose qui change tout le temps… surtout dans notre société où les tomates sont calibrées et où les grosses tomates de jardin font peur à la plupart des consommateurs car elles sont craquelées…

Avez-vous la sensation que la composition instantanée soit considérée comme moins légitime par rapport aux formes plus connues du théâtre et de la danse ?
JS : Elle fait peur car elle est jeune… elle n’a que trente ans structurellement parlant… Ainsi les critères objectifs de jugement sont moins connus que pour des modes d’écriture plus âgés… c’est la loi de la nouveauté ! Cela peut effrayer les critiques, les institutionnels ou toutes les personnes qui sont en situation de jugement objectif… le public lui s’en moque.

- Le concept de non danse

La composition instantanée se construit-elle en opposition aux formes classiques ?
JS : Non pas chez moi… c’est juste l’équivalent d’un stylo ou d’un pinceau pour un dessinateur : selon ce qu’il va avoir à faire, il va décider d’utiliser un stylo ou un pinceau, ou les deux. Certains dessinateurs choisissent toujours le même stylo parce qu’il se sentent à l’aise avec et ils peuvent aller plus loin dans leur idée… C’est la même chose : la composition n’est qu’un outil. Il me correspond mais ce n’est pas le seul outil possible ni pour moi ni pour les autres.

Pensez-vous qu’elle puisse se développer de façon autonome, sans références aux formes chorégraphiques classiques ? Dispose-t-elle de ses propres références ?
JS : Oui et non. Dans le microcosme, les références sont beaucoup plus larges que la scène (le cinéma, la littérature, la musique etc) nourrissent par leur composition la composition instantanée autant que la chorégraphie le fait. Dans le macrocosme, les penseurs, les historiens, les chercheurs d’art… finiront par trouver des références communes et rattacheront certainement la composition instantanée à la chorégraphie car le théâtre et la musique ont déjà trouvé leur formulation dans divers courants (jazz et free jazz en musique et théâtre d’improvisation en théâtre)… il ne reste plus que la danse me semble-t-il ?

Peut-on dire que la composition instantanée soit une forme d’avant-garde ?
JS :
Non cette forme existe depuis que l’homme crée car tout geste créatif naît de cette étincelle… La composition instantanée affirme seulement qu’il est possible de partager ce moment étincelant et de le célébrer… de le faire devenir éternel par le simple fait de le donner à l’autre… Ce mode d’écriture est l’outil du spectacle vivant le plus en phase avec la société telle qu’elle est en ce moment… plutôt que de courir dans tous les sens, plutôt que de privilégier l’image, la chirurgie esthétique, le regard sur le passé qui était super et l’avenir qui n’est pas terrible… la composition instantanée rappelle simplement que l’on vit ici et maintenant et que l’instant et le quotidien sont des choses merveilleuses…